Objectifs
À la fin de ce chapitre, vous pourrez :
- décrire les meilleures pratiques pour concevoir un processus de sélection des résidents;
- présenter les étapes de la conception d’un processus de sélection;
- faire état des pièges courants liés à la sélection des résidents et des façons de les éviter dans chaque cas;
- décrire les éléments clés de l’orientation des nouveaux résidents sélectionnés (y compris La compétence par conception).
Scénario
Par: Javeed Sukhera, MD, PhD, FRCPC
Votre programme mène des entrevues virtuelles. Lors d’une discussion en comité, un membre fait référence au mauvais éclairage dans la pièce où l’entrevue s’est déroulée et à l’apparence non professionnelle d’un candidat, ce qui donne lieu à un débat animé parmi les membres du comité. L’un d’eux fait remarquer que l’apparence physique est un aspect important du professionnalisme; un autre est d’avis que les commentaires au sujet du « mauvais éclairage » en lien avec ce candidat sont inappropriés. Un autre membre du comité se tourne vers vous et dit, « vous êtes le directeur de programme, que devons-nous faire? »
Conscient de l’omniprésence des préjugés dans les processus de sélection, vous vous rappelez qu’il faut reconnaître et discuter ouvertement des préjugés qui peuvent influencer les décisions. Vous voudrez peut-être saisir cette occasion de souligner l’importance de mettre les préjugés de côté, de promouvoir la structure et l’objectivité du processus, de remettre nos hypothèses en question et de se mettre au défi les uns les autres.
Dans ces circonstances, vous pouvez servir de modèle et faire valoir que le débat est sain, la contestation aussi. Favoriser les discussions ouvertes peut aider à écarter les préjugés. Même si vous avez votre point de vue sur les raisons pour lesquelles les commentaires sur l’« éclairage » lors d’une entrevue virtuelle sont problématiques (p. ex., préjugés pouvant favoriser les candidats dotés d’une certaine apparence physique, d’une bande passante, de caméras, vie privée, etc.), vous pouvez en profiter pour demander aux membres du comité de remettre en question leurs propres préjugés et d’envisager pourquoi le fait d’associer le professionnalisme à l’apparence physique peut s’avérer très problématique. En fin de compte, vous devriez aussi les inviter à donner leur avis sur les façons d’éviter ces préjugés dans le cadre de processus d’entrevue futurs.
Introduction
Il est fort probable que, quel que soit le processus que vous utilisiez, votre comité de sélection et vous-même choisissiez de très bons candidats, compte tenu du grand nombre d’étudiants hautement qualifiés et bien préparés qui postulent. Toutefois, choisissez-vous les bons candidats pour votre programme? Traitez-vous toute la cohorte de candidats de façon juste et équitable? Prenez-vous toutes les mesures raisonnables pour éviter tout biais inapproprié ou toutes les conséquences connexes imprévues de vos processus? Dans tous les secteurs, le choix des personnes qui joignent des entreprises, des services ou des équipes en détermine la culture, les processus, les réussites et les résultats pour de nombreuses années à venir, et les programmes de résidence ne font pas exception à cette règle. C’est ainsi que le choix des résidents est un des rôles les plus essentiels qui incombent aux directeurs et directrices de programme et aux comités de sélection. Pour beaucoup, c’est aussi un des plus gratifiants et des plus satisfaisants. Compte tenu des enjeux élevés de cette décision, vous consacrez probablement beaucoup de temps à penser et à réfléchir à vos processus de sélection, ce qui signifie aussi que vous pouvez risquer de mal interpréter certains risques en essayant « de bien faire » ou d’être enclins à des biais involontaires.
Une sélection adéquate exige un important investissement de temps, il est donc important de viser des décisions de grande qualité. À titre de directeur ou de directrice de programme, vous devez prévoir beaucoup de temps et d’énergie (les vôtres et ceux d’autres personnes) à consacrer au processus de sélection pour mener à bien les tâches suivantes :
- révision et mise à jour des descriptions de programmes, des outils et des questions (6 à 8 heures);
- revue en comité et discussion du modèle de sélection proposé (1 à 2 heures);
- révision des dossiers (1 heure par réviseur par dossier);
- formation des participants, englobant une formation sur les biais à proscrire (2 heures par personne);
- sélection des candidats convoqués en entrevue (1 à 2 heures de délibérations et de contrôles de qualité);
- entrevues (3 entrevues de 30 minutes chacune × 2 intervieweurs par entrevue = 3 heures par candidat convoqué en entrevue);
- décision finale de classement, vérification et contrôles de qualité y afférent (2 à 4 heures).
Bien que les estimations horaires puissent varier considérablement d’une personne à l’autre, il faut ajouter à la liste ci-dessus le temps consacré par les membres des services administratifs à organiser le tout.
Considérant tous ces éléments dans leur globalité, le présent chapitre a pour objectif de vous aider à construire un processus de sélection complet en évitant certains des pièges courants de l’évaluation et du classement des candidats. N’oubliez pas, cependant, que vous n’aurez pas à tout élaborer à partir de rien comme nouveau directeur ou nouvelle directrice de programme. Votre programme a probablement déjà un processus de sélection des résidents en place et, si vous avez de la chance, ce processus est bon. Il est possible que vous ayez peu de choses à revoir, voire rien à retoucher. La première étape consiste impérativement à consulter votre comité de sélection pour apprendre tout ce que vous pouvez sur le processus existant. Surtout, demandez ce qui fonctionne bien et quels sont les points où votre aide semble la plus utile.
Cinq grands principes sont généralement admis comme guides d’un processus de sélection sain2; ils sont le fruit d’une longue expérience et s’appuient sur la littérature existante en ressources humaines et en éducation, entre autres.
Tout d’abord, vous devez clairement cerner les caractéristiques importantes et les exprimer à toute personne prenant part à votre processus. Idéalement, votre comité de sélection les analyserait et les réviserait chaque année.
Ensuite, vous devez vous appuyer sur un éventail d’opinions et diverses perspectives pour prendre des décisions de sélection. Un comité bien constitué, qui accorde un poids égal à chaque « voix », favorisera une diversité de points de vue, atténuera le « bruit » produit par les variations entre les évaluateurs et permettra une évaluation plus large et indépendante d’une multitude de caractéristiques de candidats.
En troisième lieu, les décisions doivent reposer, dans la mesure du possible, sur une compréhension d’ensemble du rendement passé du candidat ou de la candidate, ainsi que sur les traits de personnalité, les valeurs et les compétences qu’il a révélées. Même si vous prendrez probablement parti pour certains candidats et croirez parfois avec de bonnes intentions qu’ils peuvent s’améliorer avec le temps, vous devez faire preuve de diligence dans vos processus de présélection et de sélection, en abordant la sélection avec humilité et en respectant l’expérience vécue par les candidats.
Quatrièmement, vous devez comprendre et décrire précisément ce qui constitue les fondements légitimes de votre processus décisionnel. Vous devez choisir vos priorités, mais aussi décider de ce qui n‘est pas important. Cette tâche peut être difficile, parce que bon nombre de membres de comités, d’auteurs de lettres de recommandation et de candidats cibleront les points qui sont importants pour eux mais pas nécessairement pour le programme ou pour le comité de sélection. Certaines caractéristiques, comme l’identité raciale, le genre et la situation familiale, ne doivent pas faire partie des décisions de sélection. La plupart de ces facteurs sont bien connus et punis par la loi, mais certains sont plus subtils. Les directrices ou directeurs de programme doivent comprendre la législation, la réglementation et les politiques pertinentes en matière de droits de la personne, de discrimination et de harcèlement. Les questions posées aux candidats sur leur situation familiale, l’état de leurs dettes, leurs projets de famille, leur pays d’origine, etc. peuvent avoir un effet négatif sur votre programme et sur le bien-être mental des candidats. Par conséquent, les personnes qui participent aux processus de sélection doivent être conscientes de leurs préjugés et éviter de faire des inférences sur l’adéquation ou l’intérêt d’une ou d’un candidat en se fondant sur des détails inappropriés comme le nombre de stages optionnels suivis ou la quantité de travail bénévole accompli.
Enfin, vous devez viser la normalisation à tous les stades du processus. Tous les dossiers de candidats doivent être notés selon des critères objectifs établis, les entrevues doivent compter la même liste de questions essentielles (en donnant aux intervieweurs la latitude d’explorer plus avant les domaines abordés par un candidat en entrevue) et les décisions de classification doivent reposer sur un processus prédéterminé qui s’appuie essentiellement sur les évaluations préalables des candidats, en tenant soigneusement compte des besoins du programme, du profil global de la cohorte de candidats (p. ex., ratio hommes/femmes) et de toute information préoccupante ou rassurante recueillie au fil du processus de sélection. Il est également important de se rappeler la façon dont les préjugés peuvent être véhiculés dans vos critères et processus objectifs. Ils peuvent être souvent dissipés en s’assurant d’intégrer divers points de vue et expériences dans l’élaboration et l’évaluation des processus de sélection. Tout au long de la sélection, il y aura des situations qui ne pourront pas être traitées dans le cadre défini de votre processus de sélection; votre programme devra avoir un plan pour traiter de tels cas et savoir quand consulter les instances supérieures. En appliquant ces cinq principes, vous pourrez adopter une approche par étapes qui vous aidera à créer un processus de sélection fiable, systématique et justifiable.
Le point de départ
Tout processus de sélection doit reposer sur une base solide. La norme d’agrément exige que tous les établissements qui parrainent un programme de résidence se dotent d’un énoncé de mission ou de son équivalent afin de délimiter le lieu de l’enseignement médical au sein de l’établissement. La plupart des départements ou des unités correspondantes au sein des facultés auront aussi des énoncés de mission, de vision et/ou de valeurs ou un plan stratégique, au même titre que certaines divisions. C’est par là qu’il faut regarder au début de votre réflexion sur le processus de sélection. Au bout du compte, vous devrez décider de ce que votre programme de résidence tente d’accomplir par son existence même. Voulez-vous attirer et préparer des résidents à servir des populations particulières? Voulez-vous vous concentrer sur le leadership ou sur la recherche? Y a-t-il au sein de votre université/faculté/établissement une ressource unique à votre région que vous sentez l’obligation de mettre en valeur pour le bien de la société? Toutes ces questions doivent alimenter vos décisions sur le type de diplômés que vous voulez voir et, partant, sur le type de résidents que vous recherchez. Les processus de sélection doivent faire correspondre les ressources, les valeurs et l’intention d’un programme. Bien des comités n’abordent pas cet enjeu du tout ou tolèrent des opinions variées entre leurs membres quant à ce qui est recherché, ce qui crée une source problématique de variabilité entre les évaluateurs potentiellement nuisible à la perspective de recruter des candidats par ailleurs excellents. Cet exercice de réflexion et d’introspection doit culminer par la production d’une formulation concise des objectifs de votre programme, exprimée par un énoncé principal dans CaRMS (Service canadien de jumelage des résidents) et toute autre ressource publique.
Une fois que vous avez décidé des objectifs généraux de votre programme, vous devez cerner le type de candidat qui, selon vous, aura les meilleures chances de succès. Faites ressortir les facteurs qui sont importants et les preuves à l’appui qu’une candidate ou un candidat peut donner. Ces facteurs sont probablement spécifiques au programme et à la spécialité, et tiennent compte de diverses variables universellement recherchées, comme des résultats universitaires élevés, des compétences interpersonnelles, etc.
Ensuite, décidez de la pondération ou de la note à accorder à chaque partie de la candidature d’un postulant. De façon générale, il existe trois façons de procéder, chacune ayant ses avantages et ses inconvénients. La première consiste à accorder une pondération ou une note à chaque composante de la candidature (lettres de référence, relevé de notes, etc.), puis à évaluer, pour chaque candidat, le poids de chaque composante au vu des éléments recherchés. L’avantage de cette approche réside dans le fait qu’elle permet de pondérer chaque composante de la candidature séparément sur la base de votre perception de la crédibilité et du poids de chaque composante, tout en donnant également aux évaluateurs la liberté d’utiliser leur jugement d’expert reposant sur les critères que vous avez établis. L’inconvénient : un candidat peut décider de concentrer ses preuves dans une autre section de sa candidature que celle que vous attendiez (p. ex., il peut décider de décrire son expérience de bénévolat dans sa lettre plutôt que dans son CV); par conséquent, la note qu’il recevra pour une composante en particulier peut ne pas refléter son mérite de façon précise. La deuxième façon est d’accorder une pondération à chaque élément recherché, puis de noter chacun en s’appuyant sur la candidature dans son ensemble. Cette approche permet aux évaluateurs de trouver des preuves en lien avec l’élément recherché où qu’elles se trouvent dans le dossier de candidature, mais cette approche rend plus difficile la normalisation du poids de chaque composante d’une candidature (p. ex., certains évaluateurs peuvent considérer que les lettres de référence sont plus convaincantes, alors que d’autres accordent une plus grande valeur à la lettre de motivation personnelle). La troisième approche est plus globale et demande à chaque évaluateur une seule note globale pour tout le dossier, considérant à la fois l’intégralité de la candidature et la liste totale des éléments recherchés, ce qui ne permet pas aux évaluateurs de faire une évaluation holistique unique en utilisant leur jugement d’expert. Cette démarche a une certaine validité si les évaluateurs sont formés et ont une grande expérience. En revanche, dans cette approche, on perd la capacité d’obliger les évaluateurs à prendre une décision délibérée sur chaque élément recherché, ainsi que les données qui seraient autrement disponibles pour alimenter des décisions finales de classement afin de départager des candidats ou de créer un équilibre souhaité dans la cohorte sélectionnée (p. ex., équilibrer les résidents passionnés par la recherche et ceux qui veulent servir la collectivité). L’approche recommandée est la deuxième option présentée ci-dessus, obtenir des évaluations objectives de chaque facteur plutôt que de chaque élément recherché, mais chacune des trois approches peut être justifiée. Votre comité doit rendre une décision réfléchie et délibérée qui repose sur les principes les plus significatifs pour votre programme et les communiquer largement.
Sélection des candidats
- Décidez de ce que votre programme de résidence tente d’accomplir par son existence même.
- Décidez du type de candidat qui, selon vous, aura le plus de chance de réussir au sein votre programme.
- Décidez des « preuves » que vous allez vouloir trouver.
- Décidez comment vous allez pondérer ou noter la trousse de candidature.
- Décidez a priori des processus décisionnels et de résolution des désaccords.
Évaluer les candidatures et les entrevues
Dans un monde idéal, l’évaluation des candidats se fait par un groupe d’évaluateurs pour l’étude de la candidature et pour toutes les phases d’entrevue. Si vous utilisez un système où l’entrevue est évaluée indépendamment de la candidature, mais que les notes de l’étude de la candidature et de l’entrevue alimentent le classement final des candidats, il est important que les évaluateurs menant les entrevues soient des personnes différentes de celles qui ont étudié les candidatures. De plus, les intervieweurs ne doivent pas avoir accès aux renseignements contenus dans la candidature. Ce n’est que grâce à cette séparation que la notation des candidatures et celle des entrevues peuvent être réellement indépendantes. Si vous repartez à neuf après l’étude des candidatures et que le classement final des candidats repose uniquement sur les entrevues, il peut être nécessaire de donner aux intervieweurs des renseignements concernant les candidats suffisamment à l’avance (candidature complète, CV uniquement, etc.). Ainsi, la candidate ou le candidat est considéré(e) sous un angle holistique, ce qui agit tout de même sur le classement final. Il faut plusieurs évaluateurs à la fois pour le processus d’étude des candidatures et pour les entrevues. Il existe plusieurs bonnes façons d’y parvenir. Il importe moins de savoir s’il faut deux entrevues comptant trois évaluateurs chacune ou trois entrevues menées par deux évaluateurs que de s’assurer de la participation de plusieurs personnes (dans cet exemple, il faut six évaluateurs dans les deux cas). Si vous avez peu de candidats, vous pourrez vous contenter d’utiliser une seule équipe d’évaluation pour tous, ce qui produira des notes plus fiables entre les candidats. Si les candidats sont nombreux, en revanche, vous aurez besoin de plusieurs équipes.
On semble s’entendre dans la littérature sur la nécessité d’au moins trois évaluations indépendantes pour les candidatures et pour les entrevues afin de produire une note stable, pour autant que les instruments et les critères soient normalisés et les évaluateurs dûment formés. Pour les entrevues, on considère comme pratiques exemplaires de recourir à des questions et à des scénarios normalisés pour tous les candidats. L’utilisation du modèle des mini-entrevues multiples ou d’un modèle de démonstration d’habiletés s’appuyant sur un examen clinique objectif structuré (ECOS) vous permettra de respecter l’un des principes clés présentés dans ce paragraphe, bien qu’il s’agisse là de solutions parmi tant d’autres pour relever ces défis.
Tout au long du processus d’évaluation et d’entrevue, il importe de déterminer l’influence que peuvent avoir les préjugés sur les processus de sélection. Bien qu’une revue détaillée de cette littérature excède la portée du présent chapitre, encourager la réflexion et les discussions sur les préjugés, la normalisation, les entrevues à l’aveugle, l’application de données, l’inclusion de divers points de vue et perspectives dans le cadre des entrevues et évaluations comptent parmi les pratiques exemplaires.
Classement
Pour produire le classement final des candidats, il vaut mieux utiliser le système que vous avez passé tant de temps à concevoir, et faire confiance à vos évaluateurs indépendants. La note moyenne des candidats pour toutes les évaluations indépendantes de leur candidature et entrevue sera le meilleur indicateur de leur classement relatif. Il se peut que vous ayez à modifier votre processus de classement final pour quelques raisons. La première peut être qu’il vous faudra associer certains candidats à la rubrique « non-classement ». Même si une candidate ou un candidat remplit très bien tous les critères prédéterminés que vous avez établis, elle ou il peut dire, faire ou laisser entendre quelque chose qui vous incitera, vous et votre comité, à mettre sur pause sa sélection. Ces critères essentiels – il peut s’agir d’interactions en situation sociale ou de commentaires formulés par le candidat dans ses échanges avec votre équipe en dehors de l’entrevue – peuvent n’entrer dans aucune de vos rubriques de notation. Il vous faudra une façon systématique de répertorier des préoccupations sortant de ces rubriques. Le meilleur conseil en la matière est de considérer ces éléments comme étant des motifs d’une décision de « non-classement » plutôt que d’ajuster à la baisse le classement d’une candidate ou d’un candidat parce que vous voulez que votre équipe mette l’accent sur des observations extrêmes ou hautement significatives plutôt que de se perdre dans des débats sur des nuances ou des bizarreries comportementales subtiles. La question décisive à se poser doit être la suivante : préférons-nous laisser un poste de résidence vacant plutôt que de prendre le risque d’accepter cette candidate ou ce candidat dans notre programme? Si la réponse est oui, alors vous devez rendre une décision de « non-classement ». La décision d’exclure une candidate ou un candidat de votre liste ne doit pas être prise à la légère; elle doit être justifiée de façon claire et transparente; elle doit aussi être examinée et approuvée par un groupe diversifié qui participe à la sélection plutôt que par une seule personne.
Vous devez aussi tenir compte des objectifs stratégiques et de diversité de votre programme. Par exemple, si vous avez pris l’engagement de maintenir un équilibre entre les genres et que les 10 meilleurs candidats pour vos trois postes sont tous du même genre (vous souhaiterez peut-être réévaluer votre processus si cela se produit), vous voudrez apporter des ajustements à certains des candidats en tête en tenant compte d’autres candidats qui, autrement, auraient été exclus de la liste en raison de leurs résultats. On peut avancer les mêmes arguments pour l’inclusion de certains candidats qui sont très axés sur un domaine précis de votre programme (préoccupation pour les populations mal desservies, intérêt pour l’assurance qualité, etc.). Une des façons de limiter la tentation de débattre des mérites de chaque candidat consiste à demander aux membres du comité de valider la « diversité » de la liste de classement et d’adopter à l’avance une méthode au cas où ils ne parviendraient pas à cette validation. Il faut limiter le nombre de places qu’une candidate ou un candidat peut gagner ou perdre dans une liste de classement et empêcher que les candidats d’un groupe cible puissent être reclassés les uns relativement aux autres. Par exemple, si votre comité recommande d’ajouter deux hommes de plus dans votre liste des 10 meilleurs candidats pour obtenir un équilibre des genres, alors vous devez choisir les deux hommes les plus hauts dans le classement et non débattre de qui seront ces deux candidats.
Une fois la liste de classement établie, célébrez et accordez-vous une bonne nuit de sommeil en faisant confiance au processus. Écartez du revers de la main toute nouvelle question ou revendication, puisque votre système a été appliqué.
5 pièges à éviter
- Attention à la fausse méritocratie quand vous comptabilisez les accomplissements des candidats.
- Veillez à séparer totalement les évaluations pour éviter la double comptabilisation.
- Rappelez à toutes les parties prenantes les lois et règlements qu’elles doivent respecter.
- Prudence dans l’évaluation de l’idéal, efforcez-vous d’être objectif et évitez les biais intrinsèques.
- Ne supposez pas de l’intérêt ou de l’adéquation des candidats uniquement d’après le nombre de stages optionnels suivis.
Défis
Enfin, des pièges importants menacent les programmes les mieux organisés et les mieux intentionnés. Nous allons vous en présenter cinq.
Le premier piège est celui de la fausse méritocratie : ceux qui ont réussi et qui peuvent présenter une liste de grands « accomplissements » peuvent y être parvenus non pas parce qu’ils ont des habiletés que les autres ne possèdent pas, mais parce qu’ils ont bénéficié de privilèges sans rapport avec leurs habiletés qui leur ont donné un coup de pouce. Des candidats intelligents, perspicaces, travaillants et extrêmement compétents qui n’ont pas obtenu la note la plus élevée à un examen standardisé ou qui n’ont pas accumulé un nombre important d’heures de travail communautaire ne manquent pas forcément d’aptitudes; ils ont peut-être dû occuper deux emplois pour accéder à la formation prédoctorale ou soutenir leur famille plutôt que de suivre deux ou trois cours préparatoires et de passer l’été en Afrique à faire du bénévolat. En surmontant ces exigences concurrentes, ces candidats peuvent convenir parfaitement à votre programme, mais être négligés si seules les réalisations clés sont prises en compte. Les directrices et directeurs de programme exercent un rôle important de leadership et d’influence. Ils doivent être en mesure d’aider les autres à reconnaître qu’une candidate ou un candidat qui n’a pas fait des stages optionnels avec des médecins leaders influents peut ne pas avoir bénéficié des contacts en médecine ou du mentorat de membres de sa famille. Ce biais involontaire dans la sélection est difficile à détecter, c’est la raison pour laquelle il est important de ne pas construire un système d’évaluation qui s’appuie uniquement sur le décompte des accomplissements. Vous devez vous efforcer de chercher à comprendre les candidats en analysant comment ils justifient leurs décisions, leur capacité à s’autoévaluer et à être autonomes sur la base de leurs expériences.
Le deuxième piège consiste à instaurer involontairement une séparation artificielle des évaluations. En voici une illustration typique : si vous établissez un système en vertu duquel vous accordez une valeur de 50 % à la note du dossier de candidature et à celle de l’entrevue, et que vous permettez ensuite aux intervieweurs d’accéder au dossier de candidature, vous garantissez ainsi, quasi certainement, que le dossier de candidature comptera pour plus de 50 % dans le classement final, parce que les évaluateurs ne peuvent pas ignorer ce qu’ils y ont lu et que cela influera sur leur évaluation à l’entrevue. Si vous croyez réellement évaluer des éléments différents en entrevue et lors de l’analyse du dossier de candidature (si vous ne le pensez pas, alors pourquoi organiser des entrevues?), vous devez faire en sorte que l’entrevue soit évaluée pour ses seules qualités.
Omettre de respecter les contraintes externes, comme la législation locale en matière de droits de l’honne ou les politiques institutionnelles est le troisième piège. Assurez-vous que toutes les parties prenantes au processus sont conscientes de ces contraintes. Évitez toutes les questions et tous les commentaires qui empiètent sur les zones prohibées du processus décisionnel. Si la loi interdit toute discrimination fondée sur un certain facteur, il ne vaut même pas la peine d’en discuter.
Le quatrième piège, c’est la façon d’envisager l’adéquation des futurs résidents avec le programme. Même s’il importe de tenir compte du caractère unique de votre programme ainsi que des processus et critères d’ajustement pour refléter ces facteurs, l’« adéquation » permet aussi, intentionnellement ou non, d’exclure certains candidats ou nuire aux principes d’équité, de diversité et d’inclusion. Vous devez éviter que les membres du comité utilisent le critère de « l’idéal » pour des détails mineurs et sélectionner des personnes qui sont très semblables entre elles ou qui ressemblent beaucoup à celles déjà dans le programme (pour les bons côtés, comme pour les mauvais!). C’est ce qu’on appelle un biais d’affinité. On peut tenir compte de « l’idéal » sans rechercher l’uniformité, cela étant. Les membres du comité doivent être formés pour savoir reconnaître les biais cachés et avoir tous pris un engagement envers le professionnalisme, l’équité, la diversité et l’inclusion. En examinant ce qui constitue l’« idéal », les évaluateurs doivent réfléchir attentivement à la façon dont ils veulent évaluer les candidats à cet égard, en remettant en cause leurs propres préjugés. Par ailleurs, s’il détermine qu’une candidate ou un candidat n’est pas « idéale ou idéal », l’évaluateur doit être invité à préciser les valeurs ou critères pertinents; l’« idéal » ne peut pas être un critère comme tel.
Le cinquième piège est l’évaluation des expériences optionnelles. Le simple fait que des candidats aient suivi une tonne de stages optionnels dans votre domaine ne signifie pas qu’ils seront de bons résidents. N’oubliez pas que les candidats auront plusieurs années au sein de votre excellent programme pour devenir des spécialistes. Vous voulez des résidents qui ont fait leurs apprentissages, ont saisi les occasions offertes de s’ouvrir l’esprit, se sont assurés d’avoir choisi la bonne carrière, et savent comment bien s’entourer d’expériences; il faut très peu d’imagination pour choisir des stages optionnels qui sont tous dans un même domaine. En outre, concentrer les stages optionnels dans un seul domaine ne garantit pas aux candidats qu’ils travailleront mieux ni qu’ils souhaiteront poursuivre dans une spécialité après plusieurs expériences. Restez à l’affût des vocations tardives, ceux qui se sont intéressés à votre domaine uniquement après en avoir fait l’expérience pour la première fois plus tard dans leur parcours à la faculté de médecine comme le prouve leur choix de stages optionnels plus avancés et leur essai personnel.
Conclusion
Sélectionner des résidents est l’une des tâches les plus importantes, les plus satisfaisantes et les plus plaisantes incombant à une directrice ou à un directeur de programme et à son comité. L’application d’une approche judicieuse qui intègre des éléments de conception essentiels améliorera la confiance de tous dans le processus et produira de meilleurs résultats pour votre programme et, au bout du compte, pour la société.
Références
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- Bandiera G, Abrahams C, Cipolla A, Dosani N, Edwards S, Fish J, et al. Best practices in applications & selection: final report. Toronto: University of Toronto; 2016. Disponible à : https://pg.postmd.utoronto.ca/wp-content/uploads/2016/06/BestPracticesApplicationsSelectionFinalReport-13_09_20.pdf
- Hofmans J, Judge TA. Hiring for culture fit doesn’t have to undermine diversity. Harvard Business Review. 2019 Sept. 18. Disponible à : https://hbr.org/2019/09/hiring-for-culture-fit-doesnt-have-to-undermine-diversity?referral=03759&cm_vc=rr_item_page.bottom
- Williams JC, Mihaylo S. How the best bosses interrupt bias on their teams. Harvard Business Review. 2019 Nov.–Dec. Disponible à : https://hbr.org/2019/11/how-the-best-bosses-interrupt-bias-on-their-teams